Pierre Estoppey – la beauté des monstres

En ces temps où se dévoile la banalité des monstres, nous exposons des œuvres fantastiques, reflets de nos beautés et de nos laideurs

du 18 juin au 5 juillet 2025

Édito

En ces temps où se dévoile la banalité des monstres, le Cargo expose des œuvres fantastiques, reflets de nos beautés et de nos laideurs.

Au commencement de nos vies, ces créatures étaient tapies dans l’ombre de nos cauchemars enfantins, de nos sommeils chahutés. Ils étaient des effrois que la tendresse pouvait apaiser ou que nos imaginaires enfermaient à l’intérieur des livres d’enfants, pour la journée, avec la précaution d’un geôlier.

Puis nous avons grandi.

Les monstres… En observant le monde, Hannah Arendt consignait leur multitude et leur banalité dissimulées derrière l’épouvantail emblématique d’un dictateur. Elle indiquait que chacun, s’il n’y faisait pas attention, basculerait de l’autre côté du miroir.

Ailleurs, ils ressortaient sous la forme de films et réclamaient le droit de se joindre à nous. 

Elephant man de David Lynch revendiquait la considération humaine pour un être défiguré par la maladie et les malformations.

Riddley Scott avec Alien, démontrait que, dans le vide intersidéral, on ne vous entend pas crier, que l’horreur se trouve privée de son expression – le monstre est pour soi et en soi uniquement, fœtus qui ne demande qu’à croître.

D’autres œuvres, moins connues, tel Henry, portrait d’un serial killer de John McNaughton les matérialisaient avec « une presque absence » de jugement moral, obligeant le spectateur à déterminer, seul, sa position face aux dérives criminelles.

Plus récemment, La zone d’intérêt de Jonathan Glazer observe au microscope la tranquillité fallacieuse de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz, et de sa famille logeant dans l’antre du carnage. Le massacre, discret et omniprésent par le son et les fumées, enrobe la joliesse du jardin et l’éclosion des roses. Au centre de cet univers improbable, une piscine, une douche et le rire des enfants s’amusant – un décor endormi sous la verticale heureuse du ciel bleu – les habits, les peaux et les sourires sont épanouis, mais que dire des âmes ?

Pour ne pas céder totalement à l’obscurité, scrutons un registre inverse. Il faut se souvenir de La belle et la bête de Cocteau, remettant en cause l’apparence monstrueuse et appelant à regarder ce qui se blotti sous la surface, sous la première impression, sous les préjugés.

De ce maelström autour de la présence des monstres, masqués ou révélés, je retiens une réplique puissante de la série dystopique Station Eleven.

Un récit où des survivants, une compagnie de théâtre itinérante, traversent les paysages du désastre et s’évertuent à interpréter les pièces de Shakespeare devant le maigre public des rescapés – une réplique fulgurante et ambiguë.

« aux yeux des monstres, nous sommes les monstres ».

En terre occidentale, nous sommes sûrs que le monstre est l’autre parce que nous avons apaisé nos pulsions à l’aide du droit et de nos mœurs civilisées, mais, malgré ces intentions vertueuses, les chemins de nos inhumanités se multiplient sur la cartographie de nos vies, et parfois, nous refermons l’un ou l’autre de nos atlas afin de ne pas voir la conséquence de routes choisies.

La mer Méditerranée rutile, turquoise, sous le soleil de juin et ne dévoile pas au premier abord le cimetière qui sommeille dans les profondeurs.

Qui veux céder son confort pour empêcher les noyades clandestines ?

« Aux yeux des… »

La perversion se nourrit de nos indifférences et de nos silences.

Alors, l’artiste, parfois, trouble l’eau des rivières et nous oblige à percevoir ce qui se dissimule sous la surface, voire dans la fange. Cet acte permet de saisir les contours, la précision, la beauté cachée de l’indicible, et d’en restituer la matière avec la sureté d’un geste mille fois répété.

Ces voyageurs imprudents foulent le territoire dangereux de la lucidité, et, souvent, ceux qui s’y risquent y laissent une partie de leur âme.

Mais tout n’est pas sombre, au contraire.

En admirant L’Enfer de Hieronymus Bosch, nous découvrons que le burlesque supplante la terreur.

À propos du travail exposé, je ne connais pas les motivations de Pierre Estoppey, et encore moins la force qui le contraint à dépenser temps et énergie pour faire exister ses œuvres fantastiques. De manière générale, je ne sais pas ce qui oblige un artiste à soumettre à nos regards de spectateurs, sa singularité, cette variation se démarquant de nos importants bavardages du quotidien, ce geste fou donnant à voir l’incompréhensible.

Peut-être est-ce une contrainte héritée de l’enfance… Forcer les créatures à se terrer dans le format des cadres ou à l’intérieur des livres d’images.

Un miracle renouvelé nous permettant d’être le geôlier de nos peurs.

Yves Robert – La Chaux-de-Fonds, le 16 juin 2025

à propos de Pierre Estoppey

biographie

Né en 1975 à La Chaux-de-Fonds.

Après des études de lettres il se tourne vers l’illustration. En plus des techniques traditionnelles, il développe à partir de 2020 un procédé original basé sur le photomontage.

C’est une sélection de ces travaux, d’inspiration fantastique, qu’il présente à l’Atelier Grand Cargo.

travaux (sélection)

Affiches pour La Plage des Six-Pompes, 2000-2001

Collaboration avec la troupe de théâtre de rue Les Batteurs de Pavés, 2001-2021

Collaboration avec la troupe de théâtre Tumulte, 2005-2014

Collaboration au Journal du Haut, 2006-2011

Participation à l’artbook Dragons, Spootnik Studio, 2007

Collaboration au magazine Khimaira (littérature fantastique), 2007-2008

Coups de griffe, récits de Bernadette Richard, aux éditions Presses du Belvédère, 2008

Mode d’emploi ludique pour la montre Sea-Touch de Tissot, 2008

Affiche pour la Fête du Cinéma, 2008

Ni anges ni bêtes, récits de Bernadette Richard, éditions L’Âge d’Homme, 2010

Au Jardin de Line, nouvelles de Alice Heinzelmann, éditions L’Âge d’Homme, 2014

Collaboration au magazine Montres Passion, 2016-2017

Pochette pour le groupe de rock Wrong Karma, 2018

La chasse aux nuages, poèmes pour enfants de Bernard Waeber, éditions des sables, 2018

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