porte-plume – journal Le Ô
Au soir des derniers bals de l’été, aux heures tardives, les premières brumes s’installent.
Les musiciens rangent leurs instruments et la fatigue étreint les corps. La fête est finie, le sommeil sera court et bientôt les danseurs poseront leurs regards sur le quotidien et le réel du monde.
Dans l’aigreur matinale, les déséquilibres apparaitront tels qu’ils se montrent derrière la vitre qui nous préserve, choses factices, car nous tenons les réalités à distance comme on se protège des chiens enragés en creusant des fossés et en érigeant des barrières.
Nous demeurons en cette illusion parce c’est plus doux, plus confortable, plus rassurant et que cela permet des rêves d’avenir. Cette muraille transparente empêche le regard et conforte à l’acceptation de la grande duperie du mérite. Nous avons gagné notre place dans la course à l’existence, alors nos droits et nos morales autorisent à se considérer supérieurs, maîtres de nos territoires et porteurs de valeurs égalées nulle part ailleurs.
L’autre, dont nous ne connaissons même pas le nom, nous apparaît difforme et indigne de reconnaissance, car ce qui n’est pas nommé n’existe pas.
Leurs misères, leurs guerres et leurs catastrophes sont lointaines et nous en refusons la responsabilité.
Cette grande vitre nous séparant de la vie et déformant le réel à coup d’injonctions et de croyances, garantissant un système où les actions ne seraient pas le fait des hommes, mais une suite de lois naturelles, laisse transparaître de plus en plus l’arbitraire.
Certains d’entre nous ressentent les premiers signes de la nausée et attendent avec espoir l’apparition d’une fêlure, cette petite brisure qui transperce le verre.