le premier jour de la cale sèche

. .

éditorial du 1er janvier 2024

tempêtes et conséquences

Après trois années de turbulences, en ce début d’année 2024, l’Atelier Grand Cargo est en difficulté, voire à deux doigts du naufrage.

Non que le plan de navigation fut mal conçu1, mais principalement en conséquence de diverses décisions de la République et Canton de Neuchâtel adaptant les règles de la redistribution des aides à la production théâtrale. Cette évolution ou renforcement des pratiques a généré, dans notre cas, une réelle situation d’insécurité rendant trop audacieuses toutes productions de spectacles.

Je vis la situation paradoxale de disposer d’un outil de création performant et économiquement stable, mais sans pouvoir garantir, même de manière modeste, la production, donc le travail et les salaires.

De son côté, la République et Canton de Neuchâtel fait avancer à grands pas sa nouvelle loi sur l’encouragement à la culture.

Malgré les discours d’autosatisfaction émaillant des différentes prises de paroles du Conseiller d’État ou de ses services, il est à craindre que les éventuelles améliorations perpétuent l’action  très asymétrique de l’État.

Le risque n’est pas tant dans les articles de la loi, mais bien dans les divers règlements de mise en application qui seront établis par l’exécutif et ses services.

Cela soulève les questions de comment s’écrivent ces règlements et qu’elle en est le contrôle par  les députés.

Le Grand Cargo est dans la catégorie des structures culturelles indépendantes et singulières, donc par essence, hors de la conformité majoritaire ou dominante.

C’est une position faible.

Alors avec un brin d’audace, concernant cette aventure législative, je parodie les règlements et critères en cours ou à venir, en me référant à ce qui était énoncé en fin du récit La ferme des animaux de Georges Orwell, par une version iconoclaste : « Tous les artistes sont égaux, certains artistes sont plus égaux que d’autres ».

Comme dit précédemment, je n’appartiens pas à la catégorie « des plus égaux que d’autres » et je ne souhaite pas pour autant rallier cet entre-soi.

Ma joie modeste serait d’échapper à l’expertise arbitraire triant les bons et les mauvais entrepreneurs artistiques… D’ailleurs quels sont les experts ayant nommé les experts ?

De manière plus large et de mon point de vue, la République et Canton de Neuchâtel n’a pas de politique culturelle, mais une gestion. Ce qui est radicalement autre chose et n’inclut pas la compréhension républicaine de l’avenir, surtout favorise le développement des usages technocratiques, voire inégalitaires. 

Peut-être serait-il temps que le législatif dresse un état des lieux et s’interroge avec sérieux sur ce que représente la culture dans une démocratie ?

Mais, cette tribune ne m’appartient pas.

La saison de la cale sèche

Face aux empêchements passés2 et potentiellement futurs, le Grand Cargo n’a pas d’autre choix que de cesser ses activités publiques. 

Toutefois, le mécénat m’a encouragé à rechercher des solutions alternatives et m’accorde un délai durant lequel je vais tenter de trouver une échappatoire ou provoquer un renversement. 

D’autre part, et afin de lever toutes ambiguïtés, il est à souligner que le soutien indéfectible de la Ville de La Chaux-de-Fonds, malgré ses maigres moyens, a révélé un partenaire solidaire et stimulant.

Dans ce laps de temps administratif et de développement d’un avenir possible, l’Atelier Grand Cargo restera actif par l’accueil de nombreux résidents3 en ses murs. De cette manière, il espère collaborer utilement à la mise en œuvre de diverses créations des arts de la scène et de l’écriture. 

Cette période qui s’ouvre sera : la saison de la cale sèche.

Après cela, peut-être que le Grand Cargo sera remis à l’eau et entamera une seconde navigation ?

Ai-je de grandes espérances ou de grandes illusions ?

Seul le temps révèlera ce qui doit advenir.

l’orgueil de la mémoire

La réponse négative de la sous-commission des arts de la scène qui nous a précipités dans la crise actuelle motivait, entre autres, son refus par l’appréciation que : « ce dispositif est notamment destiné à soutenir des compagnies confirmées qui peuvent se prévaloir d’une reconnaissance par les pairs comprise en termes de tournée ». 

Reste à savoir ce qu’est réellement une compagnie confirmée, une tournée, quels sont les lieux potentiellement reconnus, qui sont les pairs et quels sont leurs qualités ?

Cette remarque était outrageante à bien des égards, mais a eu pour effet de m’interroger sur le parcours d’écriture qui fut le mien. Soit en vingt ans, vingt-cinq pièces écrites, et pour la quasi-totalité, portées à la scène d’une manière ou d’une autre.

Parfois, une piqûre à l’orgueil, même si celui-ci est considéré comme un péché capital, se révèle salutaire.

En reprenant le déroulé de mon parcours, j’ai réalisé l’ampleur du travail d’écriture théâtrale accompli jusqu’à ce jour. Face à ce panorama, j’ai décidé de le rendre accessible à tout un chacun sous forme de cahier agrafé dans la tradition de « la littérature de ficelle4  ».

Soit dix-sept publications5 en attendant celles encore à réaliser.

Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la qualité de ces écrits, car j’ai toujours considéré que cela relevait de la responsabilité du lecteur ou du spectateur.

J’affirme simplement que je cherche « à faire œuvre », c’est-à-dire à construire le récit de la pensée et des questionnements qui sont les miens, un récit dont je puisse assumer les erreurs, les errements, les malfaçons et les espérées illuminations.

En créant cette collection, voilà que s’ajoute à mes nombreux défauts : l’orgueil de la mémoire.

La Chaux-de-Fonds, le 1er janvier 2024

Yves Robert

notes

 Le financement de l’infrastructure, majoritairement soutenu par du mécénat extracantonal, est resté équilibré tout au long des sept années d’exploitation du lieu. 

 voir l’édito du 30 janvier 2021 

voir la programmation des résidences 2024

Écrits courts suspendus sur un fil par des pinces à linges et proposés par les vendeurs à la sauvette dans les rues d’Amérique du sud. 

5 les cahiers publiés

lire, écouter, écrire et s’informer

1 commentaire

  1. Cher Yves
    La décision du canton de Neuchâtel concernant les aides à la production théatrale pour le Grand Cargo me rend triste. J’ai beaucoup apprecié et aimé les lectures mises en scène. J’ espère que cette situation va changer. Merci pour ton engagement. Salutations cordiales, Lisa Bärtsch

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *