patronne et domestique

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Une patronne brise sa domestique et la renvoie, aussitôt remplacée.

à propos

Le travail d’écriture décline « Patronne et domestique » comme un système contenant plusieurs couches de récits.

La première est l’histoire de base, qui peut être racontée en 51 caractères, est le fil narratif qui relie les événements les uns aux autres, leurs donne une cohérence et tient le spectateur en attente d’un dénouement. Les situations sont simples et les enjeux se comprennent aisément. L’ironie et l’imprévisibilité des comportements entretiennent la « ludicité » et un renouvellement des émotions.

Une strate différente raconte l’évolution de la relation entre les deux femmes avec les enjeux de séduction et de domination. Dans cet espace, il n’est pas sûr que la personne dominée soit celle définie par le statut social, car tous jeux de manipulations contiennent leur part de perversité. Les tensions sont fluctuantes et l’avantage de la position n’est pas toujours un gage de réussite. Là se situe le traitement psychologique.

Ailleurs encore se dessine une couche historique et culturelle qui raconte la place et les droits de chacune, évoque les éléments qui déterminent la position obtenue au coeur de la société, soit sur les versants où souffle l’air tiède de l’aisance, soit sur les pentes arides de la misère.

Plus en arrière, comme une fresque marine à la Turner dont on comprend la profondeur seulement avec du recul, nous discernons la possibilité de s’interroger sur notre propre position dans le monde et sur les choix assumés ou non de nos pouvoirs, de nos conforts et de nos soumissions.

extrait

Charlotte : C’est déjà ça. Des crevettes… Une baignoire pleine de crevettes, une baignoire qui déborde de crevettes… Avec leurs petites pattes… Se baigner avec les crevettes… Je suis fatiguée.

La domestique : Madame… Madame. Vous dormez ? Si je vous dis ce que je suis, vous penserez quoi ? Mes mots les uns derrière les autres. Sur un fil comme vous l’avez demandé. Je passe la porte de votre maison en entrant, en sortant. Je n’existe pas plus d’un côté comme de l’autre… Devenir votre amie ? Moins seule ? Vous voulez devenir mon amie ? Regardez-vous dormir. Vous avez trop confiance. Votre monde ne change jamais. Vous dormez sur du granit. Vous êtes une gisante sur un tombeau. Je pourrais glisser une ampoule de cyanure dans votre caquet et rabattre la mâchoire. Clac. Comment je pourrais raconter la vie qui est la mienne ? La crasse, les ruines, l’eau pourrie, l’odeur des pneus brûlés. Vous, vous avez des dessins sur les murs. Pour vous amuser, vous parlez des morts. Pour vous amuser… Et vous changez d’idée. La vie savoure la mort. Je viens d’un pays où les vivants regardent les morts dans le blanc des yeux parce que les morts sont partout et ça gêne personne. Nous disons : la vie savoure la mort. Dans votre monde, les morts se sont envolés, vous n’avez rien fait pour les retenir… Peut-être même que vous leurs avez donné des billets d’avions ? Chez nous la cérémonie est embrouillée parce qu’elle est faite pour ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. C’est un tissu de rêves et réalités. Quand c’est fini, les familles se retirent et fabriquent un personnage de paille presque aussi grand que leur mort… Une poupée de paille. Ils la font boire toute la nuit, l’obligent à danser et abandonnent à ses pieds une bouteille d’alcool blanc… Au matin, la poupée exténuée se repose sur le côté de la porte des maisons et les touristes comme vous, Madame, pensent que nous décorons nos entrées avec un art naïf et tout à fait charmant. Elles restent avec nous tout le temps du deuil. Elles somnolent dans un endroit où ce n’est ni la vie, ni la mort. Elles somnolent. C’est au milieu. Personne ne sait exactement quel est cet endroit… Des fois je me sens… Moi, ici… Somnolente. Je vous raconte pour l’empathie. Je parle de la mort. Vous dormez. J’ai fait le voyage pour venir ici. C’est une porte étroite, il y a une sélection. J’ai fait une école où on apprend à être servile. Ma famille a dépensé tout son argent parce que c’était une chance. Un espoir. Une lettre de crédit qu’ils attendent chaque mois dans le bureau de la Western Union. Il y a un ventilateur au plafond. Il fait toujours chaud. Ils attendent. Chaque mois que je peux, j’envoie un mandat avec l’argent que je peux. J’ai l’air de me plaindre. Je ne devrais pas. Vous avez aussi vos problèmes… On peux pas demander trop, ce serait pas juste. Comme vous dormez… Vos seins se soulèvent… Vous êtes belle. Je suis petite. Je suis serrée de partout et c’est comme si tout voulait déborder de ce rétrécissement. Je fais de la sueur. Les habits frottent, grattent. Je suis une crevette, vous l’avez dit. Je suis une crevette. Ma peau est sale. Je voudrais vous prendre à la gorge et serrer. Vous penseriez que quelqu’un vous embrasse, (mais) quand le souffle manquerait… La vie savoure la mort… Folle.

Charlotte : Elle est émouvante… Les animaux quand ils sont petits… Les prendre dans les bras… Crevette, tu es si petite.

La domestique : Madame ? Vous m’avez écouté ? Madame… Madame.

description

texte intégral / Atelier Grand Cargo / cahier format A5 / reliure centrale avec deux agrafes / papier blanc 80gr.


une version « deluxe » sur papier spécial est disponible sur demande : CHF 8.–

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